La psychanalyse pense-t-elle ?
- Depuis la question posée par Heidegger : « Qu'appelle-t-on penser ? », la psychanalyse pense-t-elle au même titre que la philosophie ? Il nous faut examiner comment la psychanalyse se positionne par rapport aux concepts de pensée calculante des sciences et de la pensée méditative de la philosophie.
« La science ne pense pas » affirme Martin Heidegger dans son essai de 1954. Pour Heidegger, la science, avec son approche technique et utilitaire, se focalise sur la maîtrise et la quantification du monde, et néglige ainsi les questions essentielles de l'être et de l'existence.
Une pratique thérapeutique / Une théorie
La psychanalyse, depuis Freud, est ancrée dans l'exploration des processus inconscients qui façonnent l'esprit humain. En tant que pratique thérapeutique, elle utilise des techniques comme l'association libre et l'analyse des rêves pour révéler les conflits intérieurs. Mais au-delà de son aspect clinique, la psychanalyse propose une vision théorique riche et complexe du psychisme.
Des figures comme Lacan ont enrichi cette perspective en intégrant des concepts philosophiques dans la théorie psychanalytique, notamment en explorant les structures du langage et leur relation à l'inconscient. Lacan s'est parfois inspiré de Heidegger pour reformuler certaines des thèses freudiennes, en insistant sur l'importance du signifiant et de la structure symbolique de l'inconscient.
En tant que théorie, la psychanalyse ne se limite pas à une approche calculante. Elle engage aussi une forme de pensée méditative en interrogeant les structures profondes de l'esprit humain et les conditions de possibilité de la subjectivité. En cela, elle partage avec la philosophie une quête de sens et une réflexion sur les dimensions fondamentales de l'existence.
La psychanalyse pense-t-elle alors de la même manière que la philosophie ? Si la philosophie cherche à comprendre l'être dans sa totalité, la psychanalyse se concentre sur l'exploration des dynamiques inconscientes qui façonnent l'expérience humaine. Cette exploration implique une forme de pensée qui, bien que distincte de la philosophie, n'en est pas moins profonde et réflexive. La psychanalyse, par son engagement avec l'inconscient et le langage, participe à sa manière à la méditation sur l'existence humaine, rejoignant ainsi les préoccupations essentielles de la philosophie.
Un questionnement métaphysique
La psychanalyse, en se plongeant dans les profondeurs de l’âme humaine, ne soulève-t-elle pas des questions fondamentales que beaucoup préféreraient éviter ? Ces questions touchent à des aspects essentiels de l'existence : la question du sens de la vie, le mystère de l'amour ou du transfert, le vertige de l'être, l'angoisse du temps et de la mort, la complexité du monde pulsionnel. Ces questions sont souvent bien écartées par la société moderne qui préfère se focaliser sur des calculs, en fin de compte des préoccupations plus superficielles et immédiates.
L’existence
L’angoisse existentielle est l’une des questions centrales en psychanalyse. Elle se manifeste à travers le sentiment de vide, le vertige face à l’infini, et l’absurdité apparente de la vie. Cette angoisse est souvent exacerbée par la conscience de la finitude humaine, la certitude de la mort, et l’impossibilité de connaître ce qui adviendra après. La gestion de cette angoisse est fondamentale pour l'individu, mais elle est fréquemment éclipsée par des préoccupations quotidiennes qui relèvent directement du règne de la raison instrumentale tels que les retards de paiement ou les obligations professionnelles, les abonnements VOD, les déclarations fiscales, les demandes d'autorisation, les contrats d'assurance, etc.
Vie et mort
En psychanalyse, les pulsions de vie (Éros) et de mort (Thanatos) sont des forces psychiques primordiales. Éros représente les instincts de vie, de survie, de reproduction et de plaisir. Thanatos, à l'inverse, symbolise les instincts de destruction, d'agression et de mort. La vie psychique est un champ de bataille où ces forces s'affrontent constamment. Ignorer cette dynamique interne mène souvent à une répression de ces pulsions, ce qui peut se traduire par des névroses ou des comportements destructeurs. Voilà, un problème anthropologique fondamental que la psychanalyse tente dans un premier temps de penser et de comprendre. Problème majeur qui est encore esquivé par la doxa et les institutions surplombantes.
La société
La rigidité sociétale et la violence symbolique sont également des aspects cruciaux étudiés en psychanalyse. La société impose des normes et des règles qui peuvent être oppressives et aliénantes. Cette rigidité peut provoquer une dissonance entre les désirs individuels et les attentes sociales, créant un malaise profond et une frustration constante. La violence symbolique, un concept élaboré par Pierre Bourdieu, se manifeste à travers des formes de domination insidieuses et invisibles, où les dominés acceptent et intègrent inconsciemment les normes imposées par les dominants. Les freudo-marxistes comme Gross, Reich ou encore Fromm, ont apporté nombre de réflexions éclairantes à ce sujet.
Une pensée éclairante
Face à ces questions majeures, beaucoup de gens se réfugient dans les problèmes artificiels de la vie moderne. Le retard de loyer, par exemple, bien qu’important d’un point de vue pratique, est un problème mineur par rapport aux questions existentielles ou pulsionnelles. En se focalisant sur les problèmes superficiels, l'individu évite de se confronter aux véritables enjeux de son existence. Il s’enferme dans une fuite perpétuelle qui entraîne à son tour un renforcement du faux self, un concept introduit par Donald Winnicott qui désigne une façade conformiste et protectrice derrière laquelle le vrai soi est caché et opprimé.
Le vrai soi, selon Winnicott, est authentique, spontané et en connexion avec les besoins et désirs profonds de l’individu. Pour accéder à ce vrai soi, il est nécessaire de dépasser les faux problèmes et d’affronter les véritables questions anthropologiques. La psychanalyse offre un cadre pour explorer ces questions de manière profonde et sincère. Elle invite à un voyage intérieur où l’on apprend à reconnaître et à accepter ses propres pulsions, à gérer l’angoisse existentielle, et à se libérer des contraintes oppressives de la société.
La psychanalyse met en lumière les véritables problèmes de l’existence humaine que la société moderne tend à dissimuler sous une couche de préoccupations superficielles. En se concentrant sur de faux problèmes, l’individu se détourne de la quête du vrai soi, s’enfonçant dans un état de faux self. La psychanalyse propose de déchirer ce voile d’illusions pour permettre une confrontation authentique avec soi-même, ouvrant ainsi la voie à une existence plus riche et plus consciente. En ce sens, on peut à juste titre dire que la psychanalyse pense.
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